Ittre est-elle une commune bio?

Cela ne saute peut-être pas aux yeux du profane qui se promène dans notre belle campagne et ses champs à perte de vue… Mais depuis plusieurs années, l’agriculture et les pratiques agricoles n’ont cessé d’évoluer. À Ittre aussi, le paysage agricole évolue. Après des pratiques industrielles et chimiques, liées à l’après-guerre, où il fallait nourrir les populations, les nouvelles générations d’agriculteurs, davantage préoccupées par le respect de l’environnement et de produits de qualité, pratiquent une autre agriculture. Que ce soit dans le circuit traditionnel ou le bio, les pratiques ont changé.

Alors, parmi toutes les surfaces cultivées à Ittre, Haut-Ittre et Virginal, trouve-t-on de l’agriculture biologique ? Il y en a qui ont pignon sur rue, comme le Jardin des Saules (sur la route entre Haut-Ittre et Bois-Seigneur) ou Artichamp (qui écoule sa production tous les vendredis sur le parking en face du Deli Traiteur et au marché de Virginal).

Et puis il y en a d’autres, assez méconnus et probablement plus discrets, qui pratiquent l’agriculture biologique dans d’autres circuits, moins directs peut-être, mais tout aussi respectueux du cahier des charges de l’agriculture biologique. Au total, ils sont 6 ! Six agriculteurs qui, il y a quelques années, ont décidé de se reconvertir en producteurs bio. Une initiative originale qui repose sur une concertation inédite entre 6 propriétaires : Alix de Lichtervelde, Carine de Lichtervelde, Thérèse de Lichtervelde, François de Mahieu, Ferdinand et Christophe Jolly et Alain Schockert. Récemment, un septième partenaire a rejoint le groupe : Nathalie Schockert (la fille d’Alain).

500 HA DE CULTURE BIOLOGIQUE

Au total, cela représente 500 ha de cultures biologiques dans nos paysages. Vous ne rêvez pas ! 500 ha, c’est énorme à l’échelle d’une commune comme Ittre. Alors, bien sûr, ces terres débordent un peu sur les communes limitrophes. Mais quand même ! Ittre est probablement une des communes les plus bios ! C’est même le groupement de grande culture bio le plus important de Wallonie !

CONVENTIONNEL CONTRE BIO ?

Christophe Jolly est l’un de ces agriculteurs. Ingénieur de formation, il a travaillé dans une banque, avant de rejoindre son père Ferdinand en 2014 dans l’exploitation agricole de la famille. Très vite, l’idée de la conversion au bio est mise en application. Aujourd’hui, la moitié des terres de l’exploitation est passée en agriculture biologique. Une situation qui permet de comparer les deux pratiques : « En conventionnel, nous tendons vers l’utilisation de moins de produits phytosanitaires. Nous effectuons les traitements sur base d’observations, et lorsque c’est strictement nécessaire. Nous n’utilisons plus d’insecticides en grandes cultures, grâce à l’agroforesterie et à la présence d’insectes auxiliaires dans les haies. Nous testons également des engrais ‘slow release’, qui libèrent de l’azote en fonction du cycle de besoins de la plante. À rendement équivalent, cela permet de diminuer la fumure de 20%. Mais l’avenir semble être également tourné vers la génétique, avec des variétés sélectionnées pour leur résistance aux maladies (sélection naturelle ou hybridation, on ne parle pas ici d’OGM), ce qui permet de réduire l’utilisation de produits chimiques. » explique l’agriculteur.

LA VIE DU SOL

Dans l’après-guerre, les engrais chimiques se sont fort développés, ce qui a permis d’accroître considérablement le rendement des cultures. Mais ces engrais ont induit un moindre intérêt d’une partie du monde agricole pour la vie des sols. Avec des intrants chimiques, pas besoin d’humus, puisque l’azote nécessaire à la croissance des plantes est fourni par des procédés chimiques. Au fur et à mesure des années, certaines terres ont été appauvries de leur matière organique. Pourtant, cette vie est primordiale pour plusieurs raisons : « Avec l’alternance des périodes de sécheresse et de fortes pluies, un bon taux d’humus permet, d’un côté, d’absorber et de stocker l’eau lors des précipitations, et de l’autre, de contenir l’eau lors des sécheresses. Lors des fortes chaleurs, on a constaté un rendement supérieur dans les terres à haute teneur en humus » explique Christophe Jolly. Mais un sol riche en humus, cela se travaille, et cela met des années à se régénérer. Il n’est pas rare de rencontrer des terres pauvres ne contenant que 1,6% d’humus, alors qu’un sol idéal comprendrait plus de 3% d’humus. Et passer de l’un à l’autre prend du temps : « Aujourd’hui, nos sols tournent aux alentours de 2,2% en moyenne, et j’estime qu’il nous faudra encore 10 ans pour atteindre 2,7%. C’est un processus très lent ».

LES ENGRAIS VERTS

Alors, comment favoriser l’humus dans les cultures ? Il y a les engrais verts : un mélange de plantes variées qu’on fait pousser, qui apporte de la biodiversité en surface, mais aussi une richesse souterraine avec des systèmes racinaires développés qui ameublissent la terre. Avant de semer, on détruit mécaniquement les plantes qui sont intégrées et nourrissent le sol. Si les conditions le permettent, la culture est semée directement dans les déchets d’engrais verts. A défaut, on pratique un labour à 20cm de profondeur avant le semis.

PAILLE CONTRE FUMIER

Et puis, il y a l’ajout d’engrais de ferme, comme le fumier de vache et de cheval. Et à Ittre, c’est le circuit court qui a été choisi : « Nous sommes indirectement autonomes pour le fumier. Nous n’en produisons pas sur nos exploitations, mais nous échangeons la paille de nos céréales contre du fumier provenant des fermes et élevages de la région. Il ne faut donc pas aller plus loin qu’Ittre, Nivelles ou Ronquières pour en avoir » confirme Christophe. 

La rotation et la diversité des cultures jouent aussi un rôle essentiel dans la préservation d’un sol sain : « Par exemple alors qu’en agriculture conventionnelle, on peut se permettre de planter des pommes de terre sur la même parcelle tous les 4 ans, il faudra attendre 8 ans en bio. » confie-t-il. Mais le vrai défi de la culture bio, c’est l’anticipation : « En cas de problème en agriculture conventionnelle, on peut souvent trouver une solution phytosanitaire. En bio, quand le problème arrive, il est déjà trop tard. Il faut donc constamment anticiper. »

 Pour ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier et permettre une plus grande rotation des cultures, l’agriculteur bio doit donc diversifier ses cultures, pour éviter de dépendre uniquement d’un seul produit. À côté des 6 cultures traditionnelles (froment, escourgeon, maïs, pomme de terre, betterave et chicorée), les agriculteurs bio ittrois produisent une douzaine de produits : épeautre, petit épeautre, orge de brasserie (qui sert notamment à brasser la bière ittroise de Chez Bobbi), petits pois, haricots, épinard, luzerne, colza, avoine, féveroles, lentilles, etc. Certains de ces produits (comme les lentilles ou la farine de petit épeautre) sont vendus à BeeÔvillage, la coopérative ittroise. Les racines de chicon sont récoltées par Joost de Paepe, qui en fera des chicons tout au long de l’année. Les pommes de terre sont valorisées en pomme de terre de consommation. D’autres légumes sont envoyés en Flandre, où ils alimentent le circuit des magasins, parfois sous forme de surgelés.

DES CULTURES ASSOCIÉES

En culture, il y a des associations vertueuses qui permettent de cultiver deux variétés sur la même parcelle : l’épeautre et la lentille, l’avoine et la lentille, le froment et le pois, l’avoine et la féverole… Chaque variété est complémentaire à l’autre. Dans l’exemple de l’association avoine – lentille : la lentille est une légumineuse (qui absorbe l’azote de l’air pour le restituer dans le sol) mais qui tombe facilement au sol si elle ne dispose pas d’un tuteur. Elle va donc se fixer sur l’avoine, qui elle est friande d’azote pour sa croissance. De plus l’association des deux cultures permettra de mieux couvrir le sol, et donc de limiter la pression de mauvaises herbes. Au moment de la récolte, un petit travail de triage permettra de les dissocier.

L’UNION FAIT LA FORCE

Il y a peu, les 6 agricultrices et agriculteurs ont été rejoints par une septième. Ils forment donc ce qu’ils appellent ‘le septuor’. Leur principe : « L’union fait la force ». En effet, cette union entre agriculteurs permet beaucoup d’avantages. D’abord, en regroupant les 7 exploitations et les 7 récoltes, leur poids est plus important et cela leur permet de mieux valoriser leur récolte. Le prix négocié pour 20 tonnes n’est jamais aussi intéressant que si on négocie 50 tonnes. Leur poids sur le marché est donc plus important. Mais il n’y a pas que l’aspect commercial qui compte. L’intelligence collective est le principal atout de la formule. Ensemble, ils peuvent partager des informations, discuter, réfléchir, voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, envisager l’avenir, tester et expérimenter… Chacun profite de l’expérience et des connaissances des autres.

COMMENT CELA FONCTIONNE ?

Comment le ‘septuor’ est-il organisé ? De la manière la plus simple possible, en se réunissant autour d’une table. Pas de grande structure juridique qui chapeaute tout cela. Les 7 agriculteurs se réunissent pour discuter et planifier les cultures et les récoltes. Même si Christophe coordonne les travaux et propose un plan général, chacun reste maître chez lui et décide pour ses terres. Mais il y a une coordination et une complicité qui fait la différence. Simplement. Et tout le monde est gagnant. Et cela a des répercussions qui vont  au-delà des 7 exploitations. Les entrepreneurs agricoles, parfois frileux, se sont adaptés aux pratiques de l’agriculture bio, s’équipant en matériel spécifique et ont aussi été entrainés dans la spirale vertueuse. Ils sont aujourd’hui spécialisés dans un domaine qui est en expansion…

Et pour répondre à la question posée dans le titre de cet article : Oui, on cultive bio dans nos villages. Et même beaucoup. Pensez-y lors de votre promenade dominicale. Les paysages ittrois sont parmi les plus bios de Wallonie… 

L’AGROFORESTERIE

L’agroforesterie consiste en la plantation de haies et/ou d’arbres à l’intérieur même des parcelles agricoles. Ferdinand Jolly a été un pionnier de l’agroforesterie en Belgique, réalisant la première plantation sur la ferme en 2011. Actuellement 15 hectares sont cultivés en agroforesterie sur l’exploitation familiale : « Les bienfaits sont similaires aux haies, avec un impact plus important car les arbres sont présents au sein même des champs. On observe une augmentation de la biodiversité, une limitation de l’érosion, une augmentation de la fertilité des champs. En effet, les arbres génèrent un apport d’humus important. Enfin, à long terme, après plus de 30 ans, les arbres plantés pourront être valorisés et assurer un retour sur investissement » explique Christophe. Tout le monde en ressort gagnant.

BIODIVERSITÉ ET AGROFORESTERIE

Quatre pour cents des surfaces du « Septuor » agricole ittrois, soit 20 hectares, sont consacrés à la lutte contre l’érosion et la biodiversité. Concrètement, cela peut prendre la forme de bandes (herbes, fleurs, etc.), à l’intérieur ou en bordure de parcelle. Alors que la tendance, depuis de nombreuses années, est de cultiver sur de grandes surfaces, le septuor prend la tendance inverse ; il se dirige vers la division en plus petites parcelles. Le maillage écologique est également un de ses fers de lance : en 2019 et 2020, plus de 6km de haies ont été plantées. 

Bien sûr, ces plantations provoquent certaines contraintes : elles demandent de l’entretien, elles forment de l’ombre et donc une perte de rendement sur certaines cultures, elles compliquent parfois les manoeuvres avec les machines agricoles… Pourtant, pour Christophe Jolly, que ce soit en agriculture bio ou conventionnelle, les bénéfices sont nombreux : « Ces plantations apportent une flore et une faune qui sont bénéfiques pour les cultures. En recréant un écosystème, les insectes ou les rapaces seront des prédateurs pour les nuisibles, comme les pucerons ou les mulots. Cela évite également l’érosion des sols et protège les cultures des vents » De plus, certains membres du septuor étant apiculteurs, le colza bio, les haies (composées de plantes mellifères), les tournières fleuries sont autant de zones mellifères qui font le bonheur des abeilles et des apiculteurs. 

DES BAMBOUS À HAUT-ITTRE

Des bambous cultivés à la Ferme du Pré à Haut-Ittre Notre équipe OXFAM de Haut-Ittre remercie tous les bénévoles qui depuis 20 ans à Haut-Ittre, d’abord dans un domicile privé, puis à la salle communale, ont organisé les Petits Déjeuners avec enthousiasme et engagement. Nous remercions également l’association OI3 qui nous soutient très activement. Le désir d’agir pour une plus juste rémunération des producteurs locaux nous a réunis et, nous l’espérons, continuera de nous mobiliser pour, avec vous, être solidaires de projets du Sud, de coopératives d’agriculteurs et d’artisans qui font vivre de nombreuses familles. Depuis quelques années, nous mettons aussi en valeur les produits locaux et de saison de notre commune d’Ittre et des environs. Nous espérons que l’an prochain nous pourrons renouer encore plus avec le plaisir des retrouvailles amicales en nous réunissant pour ces Petits Déjeuners. L’équipe OXFAM de Haut-Ittre L’initiative est originale sous nos latitudes : une plantation de bambous a fait son apparition à côté de la Ferme du Pré, à Haut-Ittre. L’idée vient d’Italie, où le bambou est déjà cultivé et offre des débouchés divers. Dans la construction, il est utilisé comme échafaudage ou structure de bâtiments. C’est aussi un bois imputrescible qui sert à la fabrication de planchers pour salle de bains, de manches de brosses à dents, etc. Dans l’industrie papetière, la cellulose du bambou peut produire de la pâte à papier. Enfin, les pousses de bambous sont un met apprécié dans la cuisine asiatique.

Avec 3 ha, c’est la première plantation de bambous qui a vu le jour en Belgique. Dans 4 ans, la plantation aura atteint sa maturité pour être récoltée. Les chaumes culmineront à une hauteur de 10 à 15 mètres. « Le secteur se développe, et on espère que, d’ici-là, nous aurons des débouchés en Belgique » explique Christophe Jolly. Sinon, les récoltes partiront pour l’Italie où l’industrie est déjà développée…