"Qu'est-ce qu'un chef d'oeuvre ?" Echanges avec Roland Lavianne
Non sans avoir rappelé la transversalité du concept même de chef d’œuvre : « Il existe des chefs d’œuvres en musique, en littérature, etc., il existe même des chefs d’œuvres de naïveté ! », Roland nous proposa d’identifier, d’après son expérience artistique personnelle et selon sa subjectivité, les caractéristiques communes qui donnent à une sculpture ou à une peinture le statut de « chef d’œuvre » au travers de l’histoire de l’art.
Roland Lavianne divise ces caractéristiques en deux catégories : celles qui sont extrinsèques à l’œuvre et celles qui sont intrinsèques à l’œuvre.
Les caractéristiques extrinsèques à l’œuvre dépendent du lieu et de l’époque. L’artiste ne peut agir, quel que soit son processus de création, sur ces éléments. On retrouve parmi celles-ci :
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La subjectivité de l’observateur
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Les goûts de l’époque
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Les différences de cultures.
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Les caractéristiques intrinsèques à l’œuvre dépendent exclusivement du travail et de la production de l’artiste. Elles découlent de la démarche artistique du créateur. Roland en identifie deux principales :
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L’originalité : chaque œuvre qui prétend au statut de chef d’œuvre se doit de présenter quelque chose de nouveau, d’inédit dans le monde de l’art.
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L’expertise : qui découle du travail de l’artiste, de sa réflexion, de ses essais et de son background culturel.
Pour lui, ces deux caractéristiques intrinsèques sont incontournables pour définir un chef d’œuvre. Tout le monde ne partage pas cette vision, il en est conscient. Mais pour lui, le risque, en les écartant, c’est qu’à grand renfort de commentaires, de discours et de théorie, tout ou presque, puisse finalement prétendre au statut de chef d’œuvre. Il donnera, pour illustrer son propos, l’exemple des ready-made de Marcel Duchamp. Par ailleurs, outre ces deux caractéristiques, il précisera qu’il n’y a, de son point de vue, pas de règle fondamentale, au niveau de l’expression, pour définir un chef d’œuvre.
Un chef d’œuvre traverse le temps et les lieux. Quelles que soient les modes, les cultures, il est reconnu en tant que tel par tous. Il faut donc, en quelque sorte, que l’œuvre sublime les caractéristiques intrinsèques (qu’elle « marque » l’histoire de l’art) et qu’elle transcende les caractéristiques extrinsèques (qu’elle tende à l’universel). Pour ce faire, Roland nous liste une série de conditions nécessaires :
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L’œuvre doit être polysémique. Pour lui, « l’artiste n’a pas à décider du parcours que l’observateur va faire ». « L’important, ce n’est pas ce que l’œuvre représente, mais ce qu’elle présente ». Une œuvre trop contextualisé, qui n’aurait pour but que de représenter une idée déterminée peut difficilement tendre à l’universel. Il cite en exemple le cas de l’art de propagande utilisé, notamment, par les régimes totalitaires au 20ième siècle.
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Elle doit devenir l’archétype. Le modèle idéal, presque parfait, d’un courant artistique, d’une technique, d’une réflexion, etc. « Il faut de l’unité dans la diversité et de la diversité dans l’unité ». On doit pouvoir, si l’on veut, découvrir quelque chose de nouveau à chaque regard. Et en même temps, tout doit ‘’tenir’’ dans une certaine harmonie.
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Il faut qu’elle soit exposée au public. Une œuvre qui reste cachée, quelles que soient ses qualités intrinsèques, ne peut être reconnue.
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Outre ce passionnant exposé sur les caractéristiques qui définissent un chef d’œuvre, Roland Lavianne a également fait, au fil des commentaires et des discussions avec l’assistance de nombreuses digressions. En vrac et dans le désordre, nous avons notamment abordé :
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La (non) représentation du réel dans l’art. Avec l’exemple du David, de Michel-Ange
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Le business de l’art. Qui évolue, en partie, selon ses propres règles.
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Le jugement que l’on porte sur les œuvres d’art. Et la nécessité d’appliquer différents niveaux de qualification pour définir une œuvre: une œuvre n’est pas « bonne » ou « mauvaise » en soit, elle l’est par rapport à certains critères, variables.
Le tout avec beaucoup de connaissance, une belle interactivité, une grande écoute mutuelle et pas mal d’anecdotes plus ou moins cocasses. Voilà, en tout cas, ce que j’ai retenu et compris de cet agréable moment, passé en agréable compagnie, entre les toiles et les sculptures de Roland Lavianne !